J’ai souvent réfléchi dernièrement au Sommet de la jeunesse et du Québec de février 2000 auquel j’ai participé en tant que représentant élu d’une association étudiante. Le Sommet avait rassemblé des jeunes de toute la province pour qu’ils débattent sur de meilleures perspectives pour la province et s’engagent à passer à l’action. Un des souvenirs les plus vifs que je conserve de l’événement est le moment où Lucien Bouchard, président du Sommet, et aussi premier ministre à l’époque, a mis le poing sur la table en réponse aux diverses organisations qui menaçaient de quitter la pièce : « Personne ne sort d’ici avant que nous ayons pris des engagements pour régler les enjeux! » Est-il besoin de dire que nous sommes restés sur place, et que plusieurs heures de négociations ont suivi pendant la nuit? Au bout du compte, le gouvernement du Québec a fait d’importants investissements dans les programmes jeunesse, et les travailleurs, le patronat et les associations étudiantes ont aussi pris des engagements. (Incidemment, le sommet était co-présidé par le ministre de l’Éducation de l’époque et aujourd’hui premier ministre, François Legault.)
Peut-être ai-je un penchant inconscient pour les Français (je suis après tout du Québec), mais cette expérience m’a toujours fait pensé à la notion d’« états généraux », pour lesquels le roi de France convoquait toute la société, clergé, noblesse et tiers état, pour qu’on le conseille sur les questions nationales et fiscales de première importance. Aussi récemment qu’en 1995, le gouvernement du Québec convoquait des états généraux sur l’Éducation de même qu’une commission publique menée en consultation avec divers intervenant de la société civile pour se pencher sur le système éducatif du Québec et suggérer des pistes de modernisation.
Je pense qu’une approche semblable pourrait donner de bons résultats pour la crise du logement qui sévit au Canada et prend actuellement de l’ampleur.
Cette idée m’est venue à l’esprit au moment où je participais, en avril dernier, à un groupe de discussion sur le logement en compagnie de collègues économistes provenant d’une variété d’organisations à l’occasion de la conférence du printemps de l’Ottawa Economic Association (OEA) et de l’Association canadienne de la science économique des affaires (CABE). J’étais entouré des plus brillants économistes et analystes de politiques au pays, et mon cerveau était en ébullition; les idées fusaient.
Et il était grand temps, parce que le logement dans ce pays traverse véritablement une crise.
Selon les données les plus récentes, le taux d’inoccupation des logements locatifs au Canada était de 1,9 % (comparativement à 3,1 % l’an dernier), ce qui a mené à une inflation des loyers de 5,4 % entre 2021 et 2022, d’après la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). L’état du marché de la propriété résidentielle n’est pas moins sombre — si l’indice composé des prix des propriétés du réseau MLS indique que le prix des maisons a diminué de 15,4 % en moyenne l’an dernier, l’augmentation marquée des taux hypothécaires vient annuler la plupart des gains réalisés sur le plan de l’abordabilité pour les propriétaires, et particulièrement pour les premiers acheteurs. Si nous continuons d’ignorer cette tendance, les défis du logement au Canada ne cesseront de s’aggraver et d’exacerber les inégalités sociales, ce qui risque de provoquer des problèmes socio-économiques plus importants et beaucoup plus difficiles à régler.
Nous devons agir dès maintenant et saisir l’occasion unique qui nous est offerte pour transformer le paysage. Pour que leurs efforts portent fruit, les intervenants canadiens du secteur du logement devront toutefois agir ensemble et parler d’une même voix.
L’autre « COVID longue »
À n’en pas douter, la pandémie, qui a obligé des millions de Canadiens à travailler de la maison, est en bonne partie responsable de la crise actuelle. Aujourd’hui, d’importants employeurs des secteurs public et privé publient des offres d’emploi dans tout le pays pour des postes qui pourront être occupés « n’importe où au Canada ». Les Canadiens ont décidé de sauter sur l’occasion pour améliorer leurs conditions de travail tout en réduisant leur propre coût de la vie et en déménageant en conséquence. C’est ce qui a provoqué la nouvelle crise du logement, un phénomène qui touchait auparavant les centres urbains et qui est désormais devenu une réalité nationale que je suis à même d’observer toutes les semaines dans les petites et moyennes municipalités un peu partout au pays.
Simultanément, la croissance démographique au Canada, en partie favorisée par des augmentations indispensables de nos cibles d’immigration, a fait exploser la demande de logements et entraîné une augmentation vertigineuse des loyers tout comme du prix des maisons. Pour rétablir l’abordabilité du logement et la faire revenir à ce qu’elle était au début des années 2000, la SCHL estime que le rythme des mises en chantier devra s’accélérer et atteindre 3,5 millions d’unités d’ici 2030. Pour y arriver, il faudrait presque doubler le nombre de mises en chantier annuelles d’immeubles d’habitation au cours de la période 2022-2030, ce qui équivaudrait probablement à plusieurs milliards d’investissements dans le secteur du logement à lui seul.
Or, une des choses que j’ai apprises en tant que fonctionnaire à la SCHL et en tant que membre du personnel politique supérieur chargé de donner des conseils sur la Stratégie nationale sur le logement est qu’il serait erroné de prendre isolément la question du logement sans tenir compte des ingrédients nécessaires au succès de la construction de nouveaux logements sur le plan de l’intégration sociale. Les enjeux dépassent de loin la simple question du logement. La dernière chose que souhaitent en effet les décideurs consisterait à construire des logements en abondance dans des endroits isolés de tout. Par conséquent, il faudra également consentir d’importants investissements pour entourer ces nouveaux logements de tous les services nécessaires : égouts, routes, réseaux électriques résilients, transport en commun, accès à l’Internet, écoles, et ainsi de suite.
La réalité, aussi brutale soit elle, est toutefois la suivante : aucun gouvernement, qu’il soit fédéral, provincial ou territorial, ni aucune administration municipale ne sera jamais en mesure de régler la situation sans aide. La Stratégie nationale sur le logement proposée par le gouvernement du Canada représente à peine le commencement de ce qu’il nous faut accomplir pour améliorer la situation du logement. Même si tout était parfaitement coordonné, nos divers paliers de gouvernement seraient incapables d’investir les sommes nécessaires pour répondre aux besoins nationaux en matière de logement.
Une partie de mon action en politique était motivée par ma profonde conviction que nous sommes plus forts ensemble et que le gouvernement ne saurait à lui seul régler des enjeux aussi vastes et complexes. C’est pourquoi je suis persuadé que nous devons mobiliser toutes les forces locales, régionales et nationales pour faire avancer les choses sur la question du logement. Il faut que tous, industrie, société civile et tous les ordres de gouvernements, participent aux états généraux sur le logement au Canada.
Une occasion qui traverse les générations
En matière de logement, les Canadiens en ont assez de la recherche de coupables et des mesures disparates. J’envisage les états généraux sur le logement au Canada comme un processus de mobilisation et de consultation local, régional et provincial qui aboutirait en un Sommet national où tous les participants conviendraient de travailler à résoudre la crise du logement au Canada et de s’engager à prendre des mesures quantifiables dont ils peuvent faire état à court, moyen et long terme. Idéalement, l’instigateur de ces états généraux serait un organisme dont les intérêts sont assez vastes pour éviter qu’une des parties prenantes puisse profiter des autres.
Quand il est question de logement, les défis sont grands, mais les enjeux le sont encore davantage. Si tous les intervenants du secteur du logement s’entendaient pour parler d’une même voix, nous pourrions avoir l’occasion durable sur plusieurs générations de faire de nos communautés et de notre pays un meilleur endroit où vivre, de bâtir une société où tous les Canadiens peuvent réaliser leur plein potentiel, à commencer par se trouver un toit qui correspond à leurs besoins et à leurs moyens. Il faudra sûrement tenir des discussions franches et arriver à des compromis, mais j’ai la conviction, comme ce fut le cas pour le Québec et le Sommet de la jeunesse, que des états généraux du logement pourraient améliorer considérablement nos perspectives collectives, dans l’immédiat et à long terme.
Informez-vous ici sur les nombreuses façons dont KPMG au Canada travaille avec les gouvernements et le secteur public à résoudre des enjeux communs et à faciliter la vie à tous les Canadiens.
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