Récemment, la législation fédérale anti-discrimination de 2007 a fait l’objet de modifications par le biais de la loi du 28 juin 2023 publiée le 20 juillet 2023 au Moniteur belge.
1. Objectif de la loi
L’avant-projet de loi, nous rappelle que l’essence même de la création de la législation fédérale anti-discrimination est de permettre aux individus de disposer de moyens juridiques leur permettant de mettre un terme à une potentielle discrimination.
Il va de soi que dans un monde qui ne cesse d’évoluer, la législation fédérale anti-discrimination doit s’ajuster aux changements sociaux et législatifs. En ce sens, la loi tient compte :
- de l’évolution du contexte social (ex. : meilleure connaissance de la réalité des personnes transgenres) et de la jurisprudence européenne (ex. : les tribunaux européens reconnaissent depuis de nombreuses années la discrimination par association, contrairement à la législation belge) ;
- des recommandations formulées par la Commission d’évaluation des lois fédérales tendant à lutter contre les discriminations.
2. Changements opérés par la loi
2.1. Adaptation des critères protégés
Plusieurs critères protégés ont été adaptés afin de correspondre au mieux aux évolutions sociétales :
L’origine ou la condition sociale
Le critère protégé de « l’origine sociale » devient « l’origine ou la condition sociale ». Cette modification a étend le champ d’application de ce critère qui jusqu’à présent ne tenait pas compte des personnes sujettes à des discriminations en raison de leur condition sociale actuelle.
Désormais, sont donc également visées les personnes en situation de demande d’emploi, les personnes analphabètes, les personnes ayant un casier judiciaire, etc.
Seksuele oriëntatie
Dans la version néerlandaise de la loi anti-discrimination, le terme « seksuele geaardheid » est remplacé par « seksuele oriëntatie ». La version francophone de la loi employait déjà les termes de « orientation sexuelle ». Ces termes mettent l’accent sur le fait que l’attirance sexuelle et/ou romantique n’est pas quelque chose d’inné et d’immuable, au contraire celle-ci peut changer au fil du temps.
Transition médicale ou sociale
La loi genre ne parle plus de « changement de sexe » mais de « transition médicale ou sociale ». Cette modification s’explique par le fait que la notion de transgenre n’est pas limitée à un changement de sexe. Une transition est personnelle à tout un chacun et peut se déployer sous diverses formes.
2.2. Adaptation des formes de discrimination : élargissement du champ d’application matériel de la législation fédérale anti-discrimination
La discrimination multiple
Même si la législation fédérale anti-discrimination n’évoque pas expressément la notion de discrimination multiple (à savoir la discrimination résultant de plusieurs critères protégés), elle la reconnait à travers la discrimination cumulée et la discrimination intersectionnelle qui sont des formes de discriminations multiples.
La discrimination cumulée est définie par la loi comme la « situation qui se produit lorsqu’une personne subit une discrimination suite à une distinction fondée sur plusieurs critères protégés qui s’additionnent, tout en restant dissociables ».
À titre d’exemple, l’exposé des motifs cite le cas d’un individu discriminé en tant qu’homosexuel et en raison de son état de santé car certaines maladies sont associées aux homosexuels. L’individu est donc victime de discriminations distinctes liées chacune à une caractéristique qu’il présente.
La discrimination intersectionnelle est définie par la loi comme la « situation qui se produit lorsqu’une personne subit une discrimination suite à une distinction fondée sur plusieurs critères protégés qui interagissent et deviennent indissociables ».
En guise d’illustration, l’exposé des motifs illustre présente la situation dans laquelle un hôtel de luxe refuse l'entrée à une femme asiatique sous prétexte qu'elle pourrait fournir des services sexuels aux clients. Une femme d’origine non asiatique ou un homme d’origine asiatique serait autorisé à accéder à l’établissement. Seules les femmes d’origine asiatique font donc l’objet d’une discrimination.
Ces deux formes de discriminations peuvent être basées sur des critères protégés issus d’une des trois lois formant la législation fédérale anti-discrimination ou de la combinaison de plusieurs de ces lois.
Enfin, la loi du 28 juin 2023 prévoit qu’une discrimination multiple peut être justifiée seulement en recourant au régime de justification le plus favorable à la personne concernée par la distinction de traitement, c’est-à-dire le plus strict. En effet, le régime de justification applicable varie selon le critère protégé. Par exemple, la loi anti-discrimination et la loi anti-racisme permettent une dérogation pour autant que le motif repose sur « une exigence professionnelle essentielle et déterminante » et ce critère doit être interprété de façon restrictive. La loi genre prévoit également le même motif, mais uniquement en ce qui concerne le critère protégé relatif au sexe.
La discrimination par association
Sur impulsion de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme, le législateur a consacré dans la législation fédérale anti-discrimination le concept de « discrimination par association ».
Un individu ne peut pas faire l’objet d’une discrimination en raison de son lien étroit avec une personne qui présente un motif protégé (ex. : un parent licencié en raison de son enfant porteur d’un handicap, dû aux absences que la situation pourrait engendrer).
La discrimination fondée sur un critère supposé
La législation fédérale anti-discrimination reconnait également la discrimination fondée sur un critère supposé. Il s’agit de la situation dans laquelle un individu est discriminé car on suppose qu’il présente une caractéristique protégée (ex. : en raison de la couleur de peau supposer qu’une personne est d’une certaine religion).
2.3. Extension des sanctions applicables
Mesures positives dans le cadre d’une action en cessation
Habituellement, une injonction négative est donnée pour aboutir à la cessation d’un acte. La loi du 28 juin 2023 introduit la possibilité pour le président du tribunal d’ordonner des mesures positives visant à empêcher la répétition d’actes similaires constituant un manquement à la législation fédérale anti-discrimination.
Publication du jugement
L’affichage/la publication d’un jugement de cessation n’est plus subordonnée à la nécessité que cette condamnation permettre de mettre un terme aux effets de l’acte incriminé ou à l’acte en lui-même. Le juge a désormais un pouvoir d’appréciation plus large quant à l’affichage ou à la publication de sa décision.
Changements en termes d’indemnisations
Trois changements sont constatés :
- Dans le cadre d’une discrimination multiple (discrimination cumulée ou intersectionnelle), le juge peut apprécier l’opportunité de cumuler les indemnisations prévues par la loi en tenant compte du préjudice subi par la personne victime de la discrimination (exemple : indemnité de 6 mois de rémunération x le nombres de critères protégés violés) ;
- Les indemnisations forfaitaires prévues par la législation fédérale anti-discrimination dans le cadre des discriminations en dehors du lieu de travail, ont fait l’objet d’une augmentation. Auparavant, l’indemnisation forfaitaire était fixée à 650 euros et pouvait être portée à 1300 euros. Désormais ces montants sont respectivement augmentés à 1950 euros et 3900 euros. Cette augmentation poursuit un double objectif : d’une part, donner un caractère effectif et dissuasif aux sanctions et, d’autre part, encourager les victimes à introduire une action en justice en cas de discrimination ;
- À partir du 1er janvier 2024, le montant des indemnisations forfaitaires sera indexé chaque année, et ce, en tenant compte de l’évolution de l’indice des prix à la consommation.
Auteurs : Isabelle Timmerman, Sr. Counsel, Emilie Mercenier, Sr. Associate & Stelina Pashaj, Jr. Associate
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