La directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 relative à la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l’Union (ci-après « directive (UE) 2019/1937) a pour objet de renforcer l’application du droit et des politiques de l’Union dans des domaines spécifiques.
Dans ce contexte, la directive établit un certain nombre de normes minimales à respecter par les États membres afin de garantir un niveau élevé de protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union (appelées « lanceurs d’alerte ») dans un contexte professionnel. En effet, les personnes qui travaillent ou sont en contact avec des organisations publiques ou privées ont un rôle crucial à jouer dans la révélation et la prévention de ces violations.
La Belgique a fait le choix de transposer la directive en deux fois : pour le secteur public et pour le secteur privé. Le présent article se concentre sur les règles applicables dans le secteur privé et développe les aspects de droit social de la loi du 28 novembre 2022 relative à la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l’Union ou au droit national constatées au sein d’une entité juridique du secteur privée (ci-après « loi du 28 novembre 2022 »), publiée le 15 décembre 2022 au Moniteur belge.
Loi du 28 novembre 2022
Le champ d’application matériel de cette loi est plus large que celui de la directive. Le législateur belge a en effet décidé d’octroyer une protection aux lanceurs d’alerte qui signalent des violations dans les domaines relatifs à la lutte contre la fraude fiscale et sociale.
Les domaines visés par la loi sont les suivants :
- marchés publics ;
- services, produits et marchés financiers et prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme ;
- sécurité et conformité des produits ;
- sécurité des transports ;
- protection de l'environnement ;
- radioprotection et sûreté nucléaire ;
- sécurité des aliments destinés à l'alimentation humaine et animale, santé et bien-être des animaux ;
- santé publique ;
- protection des consommateurs ;
- protection de la vie privée et des données à caractère personnel, et sécurité des réseaux et des systèmes d'information ;
- lutte contre la fraude fiscale ;
- lutte contre la fraude sociale.
En outre, les lanceurs d’alerte sont également protégés lorsqu’ils signalent des violations qui portent atteinte aux intérêts financiers de l’Union et des violations relatives au marché intérieur.
Quant au champ d’application personnel, cette protection s’applique uniquement aux lanceurs d’alerte travaillant dans le secteur privé et qui ont obtenu des informations sur des violations dans un contexte professionnel. La condition du contexte professionnel n’est cependant pas requise lorsque les lanceurs d’alerte signalent des violations en matière de services, produits et marchés financiers, ainsi qu’en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
La loi du 28 novembre 2022 vise donc un groupe de personne assez large, c’est-à-dire :
- Les salariés, indépendants, stagiaires ;
- Les actionnaires et dirigeants ;
- Les entrepreneurs, sous-traitants et fournisseurs ;
- Les travailleurs dont le contrat a été rompu/n'a pas encore commencé ;
- Les facilitateurs et personnes liées aux lanceurs d’alerte (par exemple, un secrétaire syndical).
Aspects de droit social
Canaux de signalement interne
Les lanceurs d’alerte peuvent signaler les violations au moyen d’un canal de signalement interne, d’un canal de signalement externe ou par la divulgation publique.
Notre article se focalise sur le canal de signalement interne qui doit être mis en place par certaines entreprises. Il s’agit d’un moyen de réception des signalements sécurisé et confidentiel qui prend la forme, au choix de l’entité juridique, d’un site internet, de courriers, d’appels téléphoniques, d’une prise de rendez-vous avec une personne, etc.
Quelles sont les entités juridiques qui doivent mettre en place des canaux de signalement interne ?
Seules les entités juridiques du secteur privé comptant au moins 50 travailleurs sont tenues d’établir un canal de signalement interne. Les entités juridiques comptant moins de 50 travailleurs n’ont pas d’obligation légale mais peuvent le faire sur une base volontaire.
Toutefois, ce seuil ne s’applique pas aux entités juridiques relevant du champ d’application des dispositions en matière de services, produits et marchés financiers, ainsi qu’en matière de prévention de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Par exemple, un cabinet d’avocats est tenu d’établir un canal de signalement interne dès qu’un seul travailleur salarié est en service au sein du cabinet.
Ces canaux de signalement et procédures internes doivent être mis en place :
- au plus tard le 15 février 2023 pour les entités juridiques occupant plus de 250 travailleurs ; et
- le 17 décembre 2023 pour les entités juridiques occupant entre 50 et 249 travailleurs.
Calcul du seuil
La loi du 28 novembre 2022 précise que le seuil est calculé conformément aux règles applicables dans le cadre des élections sociales. Le calcul s’effectue toutefois par entité juridique et non par unité technique d’exploitation.
Procédure
Avant de pouvoir mettre en place un canal de signalement interne et la procédure correspondante pour le suivi des signalements, les entités juridiques sont tenues d’informer et de consulter les partenaires sociaux.
Par « partenaires sociaux », il y a lieu d’entendre les représentants des travailleurs au sein du conseil d'entreprise ou, à défaut, de la délégation syndicale ou, à défaut, du comité pour la prévention et la protection au travail ou, à défaut, les travailleurs de l'entreprise eux-mêmes. Le but étant de faciliter l’alerte éthique.
Information des travailleurs
Par ailleurs, les entités juridiques sont tenues d’informer leurs travailleurs sur le canal de signalement interne mis en place au sein de leur entité et sur les procédures de signalement externe. Le législateur précise que cette information doit être claire et facilement accessible.
En ce sens, il est conseillé aux employeurs de rédiger un document informatif pour les travailleurs de l’entité juridique et de l’inclure dans le règlement de travail, dans une convention collective de travail, dans une politique (la consultation de cette politique pourrait par ailleurs se faire via le site web de l’entreprise). Nous recommandons plutôt de recourir à une politique pour une question de flexibilité.
Interdiction de représailles
La protection des lanceurs d’alerte implique l’interdiction de toute forme de représailles à leur encontre.
La loi du 28 novembre 2022 énumère une série de mesures considérée comme telle. Par exemple, est considérée comme représailles aussi bien un licenciement qu’une évaluation de travail négative.
Cette interdiction ne signifie toutefois pas que l’employeur ne peut pas licencier ni prendre d’autres mesures à l’égard de son travailleur. Pour ce faire, l’employeur veillera à conserver toutes les preuves permettant de démontrer que la mesure prise à l’encontre de son travailleur n’est pas liée à sa qualité de lanceur d’alerte.
Le cas échéant, à défaut de preuve, la sanction pourrait s’avérer lourde pour l’employeur. En effet, la loi du 28 novembre 2022 précise qu’un lanceur d’alerte victime de représailles est en droit de demander des dommages et intérêts conformément au droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle :
- cette indemnisation est fixée entre 18 et 26 semaines de salaire si le lanceur d’alerte est un salarié. Elle n’est pas cumulable avec l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable ;
- si le lanceur d’alerte n'est pas un salarié, l'indemnisation est fixée au préjudice réel subi. Dans ce cas, il devra prouver l'étendue du préjudice subi.
Sanction
L’employeur (ou mandataire/préposé) peut faire l’objet d’une sanction de niveau 4 conformément au Code pénal social s’il viole les dispositions relatives à la mise en place de canal interne de signalement, au suivi des rapports reçus ou à l'obligation de confidentialité des données des lanceurs d’alerte.
La loi du 28 novembre 2022 dispose également que seront punis d’un emprisonnement de 6 mois à trois ans et/ou d’une amende de 4.800 à 48.000 euros les entités juridiques du secteur privé, les membres de leur personnel, ainsi que toute personne physique ou morale qui entrave ou tente d'entraver le signalement, qui exerce des représailles contre les lanceurs d’alerte, qui intente des procédures abusives contre les lanceurs d’alerte ou qui manque à l'obligation de préserver la confidentialité de l'identité des lanceurs d’alerte.
Auteurs: Isabelle Timmerman, Sr. Counsel, Emilie Mercenier, Sr. Associate & Stelina Pashaj, Jr. Associate