Comme le reste du monde, l'actuel système de la TVA ne peut pas être à la traîne en matière de modernisation et de numérisation. La Commission européenne a publié à cette fin, le 8 décembre 2022, sa proposition tant attendue : l'initiative « La TVA à l'ère du numérique » ou « ViDA ». Bien que l'accord des vingt-sept États membres de l'Union européenne soit indispensable pour approuver la proposition, la Commission européenne a déjà fixé une première échéance optimiste pour la mise en œuvre de cette proposition au 1er janvier 2025. Vu ce délai serré, il convient d'approfondir rapidement la proposition.
Qu'entend-on par « la TVA à l'ère du numérique » ou « ViDA » ?
Le 8 décembre 2022, la Commission européenne a dévoilé sa proposition, présentant certains changements législatifs concernant les règles en matière de TVA. Ces changements législatifs visent à moderniser et digitaliser l'actuel système de la TVA ainsi qu'à harmoniser ce mouvement de numérisation entre les États membres de l'Union européenne. Il existe en effet beaucoup de pratiques nationales différentes actuellement, telles que le reporting SAF-T en Pologne, les obligations de e-invoicing en Italie, le reporting SII en Espagne, etc.. Un système uniformisé est toutefois nécessaire pour mieux lutter contre la fraude fiscale à l'échelle européenne, en recourant à toutes les techniques numériques déjà existantes.
Elle a également gardé à l'esprit des objectifs spécifiques lors de l'établissement de la proposition. La Commission veut en effet améliorer les obligations de reporting des assujettis en exploitant de manière optimale les possibilités de numérisation, promouvoir l'interopérabilité des différents systèmes informatiques, créer un level playing field pour tous les assujettis, quel que soit l'État membre de l'Union européenne dans lequel ils sont établis ou leur modèle d'entreprise, diminuer les frais administratifs pour les assujettis et limiter aussi autant que possible la nécessité de s'enregistrer dans plusieurs États membres de l'Union européenne à des fins de TVA. Pour répondre à toutes ces intentions, la proposition est articulée autour de trois grands piliers : les nouvelles obligations en matière de reporting en temps réel et de e-invoicing, une modernisation des règles pour l'économie de plateformes et la single EU VAT registration (c'est-à-dire une immatriculation unique à la TVA européenne).
Reporting en temps réel et e-invoicing
Comme la directive TVA a été rédigée dans les années 70, les obligations formelles liées au régime TVA (facturation et reporting) n'ont, à maints égards, pas été adaptées au monde moderne numérique. Comme nous l'avons déjà indiqué, de nombreux États membres de l'Union européenne ont déjà tenté de prévoir, par le biais de la législation nationale, un reporting en temps réel (ou du moins, une obligation de déclaration plus courante que l'introduction de déclarations TVA sur une base mensuelle ou trimestrielle). Ce reporting numérique va souvent de pair avec la facturation électronique, ou l’e-invoicing. Les autorités nationales en matière de TVA ont ainsi la possibilité de lutter contre la fraude à la TVA de manière ciblée. Comme l'absence de coordination dans cette approche entraîne une insécurité juridique concernant les différents systèmes, la Commission européenne souhaite y renoncer en prévoyant une déclaration numérique harmonisée sur la base de la facturation électronique.
Les différentes propositions qui sont avancées par la Commission européenne dans le cadre de l'initiative ViDA peuvent être résumées comme suit. Une obligation de déclaration numérique serait instaurée, du moins pour les transactions B2B intracommunautaires. Ce reporting remplacera l'utilisation de l'actuel relevé intracommunautaire (ou « European Sales Listing »). En outre, la Commission européenne veut que l'utilisation du reporting en temps réel devienne la norme au niveau national. D'après sa proposition, chaque facture devra faire l'objet d'une déclaration numérique au maximum deux jours ouvrables après son émission. Ensuite, l'utilisation de l’e-invoicing dans un contexte B2B deviendra la nouvelle norme dans l'ensemble de l'Union européenne. L'utilisation de factures récapitulatives sera supprimée. Enfin, la Commission européenne laisse aux États membres de l'Union européenne la liberté de prévoir le reporting numérique pour les transactions locales au niveau national. Cela devient donc un régime facultatif et n'est pas une obligation pour les États membres de l'Union européenne.
Bien que la Commission européenne vise un délai de mise en œuvre court pour les deux piliers suivants, elle prend davantage de temps pour l'instauration de ce passage à la déclaration numérique et la facturation électronique. La date d'entrée en vigueur prévue est le 1er janvier 2028.
Économie de plateformes
La Commission européenne prend conscience que le commerce électronique est un phénomène mondial qui ne cesse de gagner en importance. Toutefois, la majorité des fournisseurs de services passant par des plateformes électroniques (pensez à AirBnB, Booking, Expedia, mais aussi Uber, Lyft, etc.) ne sont pas enregistrés à des fins de TVA. Ils ne facturent donc pas non plus de TVA. En revanche, comme les hôtels et les entreprises de taxi sont immatriculés à la TVA et versent par conséquent la TVA locale sur leurs prestations de services, la Commission estime que cela crée une inégalité du marché. Elle entend donc corriger celle-ci au moyen de ViDA.
La Commission veut en effet créer une fiction de fourniture, dans laquelle une fourniture de services taxée est réputée avoir lieu entre la plateforme électronique et le bénéficiaire des services. Cette fiction s'appliquera dans les cas où le fournisseur délivrant des services par le biais de la plateforme ne facture pas de TVA (pour quelque raison que ce soit : le fournisseur n'est pas assujetti, n'est pas établi ni enregistré à des fins de TVA au sein de l'Union européenne, bénéficie du régime d'exonération pour petites entreprises, etc.). La fiction s'appliquera pour les services relatifs à la location de courte durée de logements (c'est-à-dire au maximum quarante-cinq jours) et pour le transport de personnes. Par ailleurs, la Commission européenne a aussi précisé que, lorsque la fiction ne s'applique pas, la plateforme électronique doit toutefois être conforme aux autres obligations de reporting.
La fiction fonctionnerait comme suit : lorsqu'un fournisseur délivre des services à un client par le biais d'une plateforme électronique et que ce fournisseur ne doit pas facturer de TVA sur cette prestation de services pour quelque raison que ce soit, la prestation de services sera scindée en deux transactions. D'une part, le fournisseur de services sera réputé octroyer ses services à la plateforme électronique. D'autre part, la plateforme électronique sera réputée fournir à son tour ces services à l'utilisateur. La plateforme électronique devra par conséquent se conformer aux obligations nécessaires en matière de TVA.
La Commission européenne mise sur le 1er janvier 2025 pour mettre en place ces changements législatifs et les faire entrer en vigueur.
Immatriculation unique à la TVA européenne
Les entreprises qui exécutent des transactions soumises à la TVA dans plusieurs États membres de l'Union européenne sont souvent confrontées à la nécessité de s'enregistrer dans chaque État membre de l'Union européenne à des fins de TVA et à respecter les obligations administratives qui en découlent. Vu que cette charge administrative représente un fameux coût, cela entrave le marché européen du libre-échange. Depuis le 1er juillet 2021, la législation en matière de TVA connaît des règles spécifiques pour l'e-commerce qui ont permis aux entreprises de e-commerce de réduire considérablement leurs charges administratives en utilisant le système de guichet unique pour les ventes à distance intracommunautaires (OSS) ou le système de guichet unique pour l'importation de biens de consommation d'une valeur intrinsèque de moins de 150 euros (IOSS). L'application de ces mécanismes simplifiés rencontre toujours un vif succès, mais vu le champ d'application matériel limité, de nombreuses entreprises restent contraintes de conserver des immatriculations à la TVA locales dans plusieurs États membres de l'Union européenne.
C'est pourquoi la Commission européenne propose d'étendre le champ d'application matériel de l’(I)OSS existant. Le régime de l'Union OSS pourrait ainsi être aussi utilisé pour la livraison de biens avec installation, pour la livraison de biens à bord d'avions, de navires et de trains, pour la livraison de gaz, d'électricité, de chaleur et de froid et pour la livraison locale de biens. Ce nouveau régime de l'Union OSS ne serait, comme c'est le cas actuellement, applicable que pour autant que le destinataire des biens ou services soit un particulier ou une personne morale non assujettie. Deuxièmement, le champ d'application du régime non-Union OSS serait étendu à toutes les livraisons de services d'entreprises non européennes à des particuliers ou personnes morales non assujetties. La proposition veut également faciliter les possibilités d'apporter des modifications dans la déclaration (I)OSS, grâce auxquelles une déclaration rectificative peut être introduite pour autant que la modification ait lieu avant la date ultime d'introduction.
Ensuite, la Commission veut instaurer un nouveau système de guichet unique, spécifiquement pour la déclaration des transferts de biens propres. Comme un transfert de biens propres doit être déclaré comme une livraison intracommunautaire assimilée dans l'État membre de l'Union européenne de départ et comme une acquisition intracommunautaire assimilée dans l'État membre de l'Union européenne d'arrivée, de tels déplacements de stocks au sein de l'Union européenne peuvent entraîner de lourdes conséquences au niveau des enregistrements à la TVA dans différents États membres de l'Union européenne. La Commission européenne veut remédier à ce problème par un nouveau système de guichet unique spécifiquement pour ces transactions. Étant donné que ce système s'applique aussi au transfert de stocks dans le contexte des call-off stock (« stocks sous contrat de dépôt »), ce nouveau régime devrait remplacer la solution « quick fix » de 2020 pour call-off stock.
Ensuite, la Commission veut aussi une extension des cas dans lesquels intervient une autoliquidation obligatoire. Actuellement, les États membres de l'Union européenne disposent de l'option de prévoir une autoliquidation locale pour les biens et services qui sont livrés localement dans l'État membre par des fournisseurs étrangers. Ce régime optionnel serait remplacé par un régime obligatoire dans le cadre duquel l'autoliquidation doit être appliquée pour chaque livraison locale de biens et services par une entreprise non établie dans l'État membre à une entreprise qui est enregistrée dans cet État membre à des fins de TVA. L'entreprise étrangère n'aura plus besoin d'immatriculation à la TVA pour ce genre de transactions, puisqu'elle ne sera plus débitrice de la TVA locale.
Enfin, la Commission veut aussi élargir la qualification d'une plateforme électronique en tant que vendeur assimilé. Pour le moment, cette fiction s'applique uniquement aux livraisons de biens qui se trouvent déjà dans l'Union européenne par des entreprises non européennes à des particuliers ou des personnes morales non assujetties ou aux livraisons de biens importés d'une valeur intrinsèque de moins de 150 euros à des particuliers ou à des personnes morales non assujetties. À l'instar de la proposition de la Commission, elle devrait s'étendre à toutes les livraisons de biens au sein de l'Union européenne qui sont effectuées par le biais d'une plateforme électronique – quel que soit le statut du client. La fiction s'appliquerait donc aussi bien dans un contexte B2B qu'un contexte B2C voire B2G. Avec cette extension, la Commission veut alléger les charges administratives des fournisseurs qui livrent des biens ou services par le biais d'une plateforme électronique.
La date d'entrée en vigueur prévue de cette nouvelle réglementation est le 1er janvier 2025.
Conclusion : nos premières impressions
Bien sûr, les différentes propositions de la Commission européenne sont les bienvenues. Une harmonisation en faveur du reporting numérique et de la facturation électronique s'impose dans un pays une Europe actuellement fragmentée en matière de TVA, dans lequel les contribuables ont bien du mal à se conformer à toutes les obligations en raison des nombreuses règles nationales différentes. L'harmonisation permettrait donc certainement de réduire la fraude à la TVA et les assujettis seraient désormais soutenus par une réglementation uniforme. La clé de la réussite est dès lors la coopération active de tous les États membres de l'Union européenne, y compris ceux qui ont déjà prévu leurs propres règles nationales en la matière.
Pour les deux autres propositions, concernant l'économie de plateformes et concernant l'immatriculation unique à la TVA européenne, la Commission européenne prévoit un calendrier très serré. Il conviendra certainement pour les plateformes électroniques qui se verront imposer beaucoup plus d'obligations en matière de perception de la TVA et de reporting à la TVA de s'adapter rapidement. D'autre part, l'utilisation d'un seul numéro de TVA européen pour de nombreuses entreprises peut être considérée comme un allègement bienvenu des charges administratives. Attention, vu que la Commission prévoit un traitement TVA différent pour les importations d'une valeur intrinsèque supérieure et inférieure à 150 euros, la complexité de la proposition ne doit pas être sous-estimée. À suivre donc.
Sofie Vandermarliere & Lien Wyffels