La mise à disposition gratuite d'une habitation privée par une société à son dirigeant est aujourd’hui un sujet bien connu. Les frais engagés par la société en rapport avec ce bien immobilier peuvent être déductibles, même si le dirigeant (et sa famille) utilise le bien immobilier uniquement comme habitation privée.
Toutefois, cette déduction n'est certainement pas automatique. La société ne peut déduire fiscalement les frais relatifs au bien immobilier que si elle peut démontrer que les frais sont engagés en vue d’acquérir ou de conserver des revenus imposables, ou encore dans la mesure où les frais sont engagés dans l'intérêt de la société, et non dans le seul intérêt du dirigeant.
Une tendance positive dans la jurisprudence
La jurisprudence récente montre que les contribuables font de plus en plus souvent appel avec succès à la théorie dite de la rémunération, à la théorie de la plus-value, ou à une combinaison des deux.
Dans un article précédent, nous avions déjà évoqué l'arrêt positif rendu par la Cour d'appel de Gand à la fin de 2019, dans lequel la déduction des frais relatifs à deux appartements situés à la côte a été acceptée.[1] La Cour d’appel de Gand a estimé que la mise à disposition de ces appartements était spécifiquement destinée à rémunérer les prestations effectivement fournies par le dirigeant en faveur de la société. En outre, on pouvait raisonnablement supposer que la société pouvait s'attendre à une plus-value lors de l'éventuelle vente ultérieure des biens immobiliers.
Ce n'était pas une victoire isolée pour le contribuable et la tendance s'est poursuivie, également devant la Cour d'appel d'Anvers. Au début de cette année, la théorie de la rémunération a de nouveau été invoquée avec succès pour justifier les coûts d'un appartement, détenu par la société à concurrence de 99% en pleine propriété.[2] Dans ce cas, la Cour a également été séduite par le dossier très bien étayé. Elle a ainsi jugé qu’il ressortait clairement que la mise à disposition du bien immobilier résultait de l'octroi d'un avantage au dirigeant en échange de son activité professionnelle au sein de la société.
En outre, la Cour d’appel d'Anvers a également souscrit à l'argument cité concernant le rendement futur attendu de l’immobilier à la mer. Selon la Cour, il est bien connu que la valeur de l’immobilier, en particulier sur le littoral, a considérablement augmenté de sorte que l’inscription du bien immobilier au bilan de la société peut être considéré comme un investissement dont on peut s’attendre à ce qu'il génère des bénéfices imposables pour la société à long terme.
Nonobstant cette tendance positive de la jurisprudence, deux arrêts récents de la Cour d'appel de Gand du mois de mai de cette année montrent clairement que le succès de l'application de ces théories dépend toujours de la manière dont la société justifie ses frais et les prouve concrètement.
L’administration fiscale (et la jurisprudence) sont sévères lors de l'évaluation de la preuve produite. Dans de nombreux cas, le contribuable n'est pas en mesure de justifier ces théories de manière concrète avec des preuves suffisantes et concluantes. Par conséquent, c'est le contribuable qui, en fin de compte, doit parfois s’avouer vaincu sur le plan fiscal.
Etant donné que les circonstances de fait et la preuve apportée diffèrent fortement dans les différentes affaires, la question demeure de savoir comment exactement la preuve devrait-elle être fournie. Bien qu'il ne soit indiqué nulle part de manière explicite quelles conditions les preuves doivent remplir, nous pouvons néanmoins dégager de la jurisprudence un certain nombre de lignes directrices qui semblent fournir un arsenal suffisant pour justifier la déductibilité de ces coûts.
Points d'attention de l’administration fiscale
Lors de l'évaluation de la preuve, une grande importance est accordée aux documents formels. C’est ainsi que les procès-verbaux de l'assemblée générale relatifs à la politique de rémunération appliquée, les fiches fiscales et le bénéfice de la société peuvent au fil des ans aider à démontrer que la mise à disposition s’inscrit, depuis le départ, dans la politique de rémunération de la société.
Toutefois, la présence de ces documents n’offre pas un laissez-passer automatique pour le contribuable. Ce ne sont que des éléments à partir desquels on peut déduire l'intention spécifique de rémunérer le dirigeant. Le message reste donc de démontrer et de prouver concrètement.
Il en va de même pour la preuve dans le cadre de la théorie de la plus-value. Bien que dans une affaire récente, la Cour d'appel d'Anvers ait semblé se satisfaire de la « commune renommée » selon laquelle les appartements sur la côte ont fortement augmenté en valeur au fil des ans, une documentation détaillée sur l'évolution des prix de l'immobilier dans la commune concernée semble également rester opportune.
La Cour de cassation ne rejette pas la déductibilité des frais d’une habitation privée
Les récents articles de presse ont toutefois mis un frein aux festivités. Un récent arrêt de la Cour de cassation de juin 2020 aurait, du moins selon certains articles, mis fin à la théorie de la plus-value.[3] À notre avis, une telle position est toutefois hâtive et incorrecte.
L'arrêt attaqué de la Cour d'appel de Gand, contre lequel un pourvoi en cassation a été introduit, rejette la déductibilité des frais relatifs au bien immobilier pour diverses raisons.[4] Tout d'abord, l’administration de la preuve concernant la théorie de la rémunération était insuffisante. En outre, la Cour d'appel de Gand a jugé que le simple fait qu'il y ait une chance qu'une plus-value soit réalisée ultérieurement ne suffit pas à justifier la déduction. Enfin, la Cour d’appel de Gand a également rejeté l'argument concernant les maisons d’agrément, car cette disposition ne peut s'appliquer à une habitation.
Le contribuable s'est adressé à la Cour de cassation et s'est concentré sur les deuxième et troisième arguments.[5]
La Cour de cassation déclare que la Cour d’appel de Gand n'a pas jugé qu'il ne peut être question de frais professionnels déductibles que lorsqu'il s’agit de frais qui généreront avec certitude des revenus. Au contraire, la Cour d'appel de Gand a jugé que du simple fait qu'il existe une chance qu'une plus-value soit réalisée lors de la vente ultérieure du logement, il n’en résulte pas que les frais ont été automatiquement encourus ou supportés dans l'intention d’acquérir ou de conserver des revenus imposables.
L'argumentation du contribuable reposait donc sur une lecture erronée de l'arrêt de la Cour d’appel de Gand et manque donc, selon la Cour de cassation, d’une base factuelle.
En d'autres termes, la Cour de cassation ne s'est pas prononcée sur le bien-fondé de la théorie de la plus-value en tant que telle et certainement pas sur l'affirmation selon laquelle une possibilité de réaliser une plus-value serait insuffisante pour la déductibilité des frais.
Compte tenu de la lecture erronée de l'arrêt par le contribuable, il est donc inexact d'affirmer que la Cour de cassation aurait, par cet arrêt, rejeté la théorie de la plus-value alors qu’elle ne s'est pas du tout prononcée sur cette dernière.
De plus, nous osons affirmer qu’il n’y a pas de raisons de s’inquiéter et qu'il y a une chance que, dans un arrêt ultérieur, la Cour de cassation retienne à nouveau la théorie de la plus-value.
Conclusion : des preuves solides restent fondamentales
Suite à l’arrêt de la Cour de cassation, la possibilité d'invoquer la théorie de la rémunération et/ou de la plus-value demeure dans la mesure où les frais peuvent être justifiés et prouvés.
La conclusion reste donc la même que celle antérieure à l'arrêt du 25 juin 2020 : des preuves cohérentes sont et resteront d'une importance cruciale. Des dossiers bien fondés ont une chance de réussir tandis que les dossiers construits sur du sable mouvant s’effondreront comme un château de cartes.
Avec la collaboration de : Vénétia Fallon et Diego Spillebeen
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